• La première moitié du 19ème siècle, s’avère dans le domaine des sciences de la terre, une époque de grand bouillonnement d’idées et de progrès. Comme le note judicieusement Gérald Finley, les théories scientifiques se multiplient. Nombreux sont les savants suggérant leurs propres conceptions sur le passé de la Terre. Chaque décennie apporte son lot de découvertes et de surprises. Les savants en quête d’aventures et de connaissances, scrutent de plus en plus le sous-sol de la Terre, afin d’y percer ses secrets. Les montagnes, les volcans, mais aussi les grottes et les forêts sont passées au peigne fin. A une époque, où la spécialisation scientifique n’en est alors  qu’à ses balbutiements, les scientifiques s’engagent sur divers fronts: l’encyclopédisme, hérité de la philosophie des Lumières, reste alors de mise. Alexandre Von Humboldt (1769-1859), naturaliste prussien de grande envergure, offre un exemple type du savant aux multiples facettes. Embarqué en compagnie du médecin Aimé Bonpland, il parcourt l’Amérique du Sud, entre 1799 et 1804, afin de comprendre les interactions physiques et biologiques du monde qui l’entoure. Il s’émerveille à chaque nouvelle découverte, qu’elle soit d’ordre botanique, géologique, ou zoologique. Cette nouvelle attitude, face à la nature, se répercutera immédiatement chez certains artistes paysagistes à tel point que certains doctes iront même jusqu’à proposer l’idée d’une école Humboldtienne du paysage. Humboldt eut le mérite d’être à l’origine d’un véritable engouement des artistes peintres, pour le continent Sud américain et sa nature foisonnante. Rugendas, Thomas Ender, et Edwin Church partirent sur ses traces afin d’explorer à leur tour les contrées de ce continent, encore largement méconnu à l’époque. Humboldt encouragea les artistes à étudier spécifiquement les espèces animales et végétales, contribuant ainsi à porter un regard neuf sur la nature.

    A l’instar des savants, l’artiste de l’époque, va s’éprendre, à son tour, d’expéditions périlleuses dans les coins les plus reculés du globe. Il se met alors à parcourir des régions inhospitalières comme Church lorsqu’il se rend dans les volcans andins. L’artiste à l’instar du géologue, cherche à comprendre lui aussi, les mécanismes qui ont présidé les formations rocheuses et pour cela il est prêt à tout. Turner lors de ses expéditions dans les Hébrides, se blessera en voulant grimper sur des parois rocheuses. Un peu plus tôt, lors de son premier séjour en Italie, il tenta désespérément d’escalader le Vésuve en feu. Ainsi, à l’image du naturaliste explorant tous les recoins dangereux de la Terre, l’artiste devient intrépide et tenace dans sa quête des compréhensions des phénomènes naturels. La liste des artistes ayant escaladé des volcans, serait trop longue à énumérer, tant l’alpinisme était dans l’air du temps. Les récits de voyages et les ouvrages érudits des savants y furent pour beaucoup, quant à ce nouvel engouement. Le peintre, Jean Pierre Houel (1735-1813) explora dans les années 1770, l’Italie du Sud et la Sicile. Curieux de tout, il se passionna pour la minéralogie et la volcanologie. 

     

    INTRODUCTION

    Jean Houel, Écueil de basalte au port de la Trizza


    votre commentaire
  •  

     

    L’intérêt des artistes pour la représentation des glaciers est un phénomène plutôt tardif, puisqu’il n’apparaît véritablement qu’au cours de la seconde moitié du 18ème siècle en parallèle à la redécouverte des Alpes. Avant cette époque, les artistes n’avaient pas osé s’aventurer au cœur des systèmes montagneux, pour percer le mystère des glaciers. Ainsi, un peu comme les grottes ou les fonds des mers, les glaciers relevaient du mythe et de l’imaginaire. Cependant, à partir des années 1750-1760, les choses évoluèrent, en particulier grâce au développement des sciences de la terre. L’esthétique du sublime théorisée par l’ouvrage de Burke dont la traduction parut en 1757 en français ainsi que l’ouvrage de Kant Observations sur le sentiment du beau et du sublime (1764) contribuèrent également à développer chez les artistes une fascination pour les phénomènes de la nature.

     

    LOUIS AGASSIZ

    Heinrich Wuest, Le glacier du Rhône, huile sur toile, 126x110cm, 1775

      

    L’influence de la théorie de Louis Agassiz, chez les artistes, est un thème qui fut abordé par Kenneth Bendiner, Timothy Mitchell et Rébecca Bedell. Martin Rudwick, historien des sciences, est pour sa part le seul dans sa discipline à s’être intéressé à la question. Leurs études ont contribué dès la fin des années 1980, à mettre en évidence l’attrait qu’avait pu susciter cette théorie auprès des artistes. Ainsi, il ne semblera donc pas véritablement utile de faire de Agassiz l’unique protagoniste de notre étude. Toutefois, un rappel de cette influence et de nouvelles hypothèses la concernant s’avéreront nécessaires pour comprendre l’évolution de l’influence de la glaciologie, sur la peinture de paysage. Le point sur lequel il faudra insister concernera plus particulièrement l’influence des premières problématiques glaciaires sur les artistes des années 1770-1830. La question du bloc erratique se présentera dans ce contexte. Cette époque, qui s’étend de l’influence de Saussure à la veille des thèses de Agassiz, est largement méconnue aussi bien dans le domaine artistique que scientifique.

    La peinture allemande de paysage des années 1820 est pourtant des plus intéressantes, dans les  rapports qu’elle entretint avec le début de la glaciologie. Mais avant de s’attacher à cette question, examinons l’influence des prémices de la glaciologie sur les arts figuratifs des années 1770-1790.

     

    LOUIS AGASSIZ

    Louis Agassiz

     

     

    votre commentaire
  • Page 85/§ 1

    L’espace avait une allure de chambre virtuelle, un peu comme celles que l’on peut observer dans certains jeux vidéos, là où le héros cherche désespérément un indice en se promenant de pièce en pièce dans un lieu totalement désert. Le mobilier, spartiate, était aligné dans un certain ordre.  Une moquette beige recouvrait le sol. Des taches noires s’espaçant comme des îles sur une carte du monde, coloriaient ses entrailles filamenteuses où des mèches en boucles se détachaient comme des queues de cochons. Le plafond était relativement bas. Le vasistas de la pièce donnait sur une cour d’école étrangement vide. A l’extérieur, des arbres masquaient à moitié la fenêtre. En hiver, ces végétaux nus et squelettiques, aux branches évoquant des chandeliers hébraïques, s’accordaient au caractère dépouillé de la salle. Leurs ombres se reflétaient sur les carreaux créant ainsi un jeu fantasmagorique, dont le principal effet était de paralyser le regard des visiteurs. Pour compléter l’atmosphère, une odeur de renfermé stagnait constamment dans cet espace, comme des ondulations brumeuses au-dessus des marécages. Une poubelle où des papiers froissés gisaient comme des cadavres recroquevillés, occupait l’un des angles de la pièce.

    La chambre presque vide se composait de la manière suivante : un lit, une chaise, un fauteuil et une table sur laquelle était posé un gros rouleau de sopalin. La présence de cet objet pouvait sembler insolite si l’on ignorait sa fonction. Sur la table, une lampe de chevet allumée de jour comme de nuit, éclairait la joue droite d’un homme au visage plutôt plat, marqué par de légères cicatrices que creusaient des sillons dont la présence dérangeante ne se signalait qu’à partir d’une certaine distance. Ses yeux étaient incolores et sans éclat, à moitié dissimulés sous d’épaisses paupières ridées comme les cernes boursouflés d’une noix. L’âge lui avait subtilisé une grosse partie de ses cheveux, ne lui laissant plus que quelques touffes formant un archipel capillaire balayé par les courants d’air. Il portait comme chaque jour une veste grise, une cravate rouge écrevisse, et des chaussures noires. Il n’était pas très grand, mais un peu fort et encombré d’un ventre bedonnant. Plein de manies, de mimiques, et de fausses grimaces, il avait l’habitude quand il baillait, de mettre discrètement son avant-bras devant sa bouche dans laquelle était alignée toute une série de petites dents bien ordonnées mais entartrées. Il effectuait de temps à autre de légères rotations de la tête comme s’il voulait délasser les muscles de son cou, calqué sur celui d’un bison.

    Parfois, en retirant son portable de sa poche - signe d’un certain ennui probablement -, il se trompait une fois sur deux de boutons en sélectionnant « Le contrôleur vocal ». Il ne savait pas encore très bien manipuler ses appareils derniers cris qu’il appelait maladroitement « engin ». Son regard croisait alors en l’espace de quelques secondes, des lignes ondulatoires de couleur blanches qui se déplaçaient en frétillant sur un fond bleu où des mots comme « jouer » « joindre » « écouter l’artiste » « qui chante cette chanson » « au hasard » « titre précédent » apparaissaient tour à tour comme dans une vidéo d’artiste. Ce bleu profond lui donnait l’impression de plonger dans un océan d’eau froide. Une voix électronique surgissait alors du néant, pour l’avertir qu’aucune anomalie n’était à déceler ; Surpris, il s’excusait auprès de son interlocuteur et quelque peu honteux, verrouillait à nouveau son portable avant de le remettre dans sa poche.

    Il était le maître des lieux, même s’il partageait avec ses collègues cet espace réservé aux soliloques. Ses mains, fermement agrippées aux accoudoirs du fauteuil comme s’il voulait les écraser, se statufiaient pendant ses séances. Il lui arrivait aussi de croiser les jambes pour changer de contenance. Cette pièce presque nue, était en fait son lieu de travail où il se rendait trois fois par semaine. Le cabinet dénué de toutes marques personnelles, ressemblait plus à une salle des pas perdus. C’était  un endroit que les professionnels se prêtaient à tour de rôle pour recevoir leurs victimes, qui y passaient comme à l’abattage et où le chronomètre jouait le rôle de guillotine pour scander les séances. Son emploi du temps, qui variait d’une année à l’autre, était de plus en plus aéré. Proche de la retraite, il avait tendance à s’évader lors de certaines séances, et à rêver à ce que seraient ses journées de liberté. Enfin, il pourrait se consacrer à  la glaciologie, sa passion préférée. C’était d’ailleurs pour cette raison qu’il avait décidé de s’installer dans les Alpes.

    Membre d’un club amateur, il ne ratait jamais une occasion de s’échapper de Paris pour se rendre à Chamonix. Aussitôt arrivé, il empruntait le petit train à crémaillère du Montenvers pour accéder en vingt minutes au pied de la Mer de Glace. Il projetait d’ouvrir un restaurant, ou mieux un hôtel au nom prestigieux de  Luis Agassiz, le célèbre scientifique qui au 19ème siècle, lors d’un voyage au Brésil, avait découvert de nouvelles espèces de poissons rares dans la vallée de l’Amazone, avant de devenir le père de la glaciologie en Europe. Il ferait installer dans toutes les chambres de son hôtel de grands aquariums remplis de poissons exotiques, afin  de distraire et d’éduquer les touristes du monde entier, venus admirer les beautés des sites alpins.

     

    MONSIEUR FUCHS


    Mais ces derniers moments à passer dans son cabinet n’étaient pas exempts de nostalgie. Il voyait défiler ses derniers patients avec une certaine compassion. Ainsi s’il était bien le maître des lieux de cet espace confiné au périmètre angulaire, il n’en était pas pour autant l’acteur principal ou le héros pour employer un terme littéraire ou cinématographique. Il n’était en fait que le réceptacle de tout un flot de paroles jetées en l’air, un peu au hasard, et qu’il était censé analyser, ou reformater en vue de fournir une aide psychologique à ses interlocuteurs. C’était un travail de patience, d’écoute, et surtout de présence. Même s’il était devenu à la mode en ces temps où le stress n’avait jamais été aussi fort, le psychanalyste, car telle était sa fonction, restait avant tout une personne effacée, une feuille transparente imbibée de tous les maux de la société. On venait le voir  comme pour se confesser.


    votre commentaire
  • Juché en altitude à la manière d’un oiseau, Affonso Eduardo Reidy, cherchait du regard cette citadelle qui le ramenait plusieurs années en arrière. En contre bas, un paysage urbain s’étendait à l’horizon, où étaient réunies les grandes  réalisations de ce bâtisseur merveilleux  que la mort avait désormais sacralisé : Le Ministère de l'éducation et de la Santé Public, Le Gustavo Capanema Palace, La Villa Carmen Portinho , Le Théâtre Maréchal Hermès, Le Bâtiment de logements Marques de São Vicente,  Le Musée d'Art Moderne de Rio de Janeiro. Mirage ou non, Affonso Eduardo Reidy, cet homme à la facture austère, contemplait son œuvre en toute sérénité.

     

    REIDY et PORTINHO (extraits)

    Pédrégulho et son créateur

    Depuis sa résidence des abords de Rio, Carmen Portinho (1903/2001),  les yeux rivés vers les fenêtres de son bureau, cessa d’imaginer et de rêver à son défunt mari et ses réalisations d’antan. Ses idées étranges comme le caractère énucléé de Reidy voire démembré la révulsaient ; dans ces moments-là elle sentait son esprit s’échouer sur les berges nauséabondes du Grand Age, elle qui s’approchait dangereusement du cap de la centaine. Car Carmen n’avait pas rêvé ou cauchemardé ; elle avait juste divagué dans un état de veille. Comment avait-elle pu imaginer des choses aussi macabres que l’extraction oculaire de son ancien mari,  si ce n’était une facétie de cette déperdition psychique qu’elle craignait tant ?

    Dissimulée sous une épaisse végétation et située sur un terrain en pente, la résidence de la vieille femme, dans laquelle elle s’était réfugiée seule, plantait ses pilotis dans la chair rocheuse de la terre. C’était une bâtisse blanche, pleine de vides et d’espaces sobres voire austères. L’intérieur se composait d’un mobilier épuré, où les pieds des chaises étaient aussi fins que des branches de lunettes. De vastes baies vitrées donnaient sur une forêt d’arbres d’où se détachaient au loin, des chaînes de montagnes aux sommets vallonnés, et où le ciel saturé de nuages ne laissait filtrer qu’à compte-gouttes, les rayons du soleil. Ce décor qu’elle aimait plus que tout, lui permettait de se livrer à ses souvenirs heureux, lorsqu’elle travaillait d’arrache pied au côté de son mari. Vivant en recluse depuis déjà de nombreuses années, Carmen communiquait avec le monde à l’aide du téléphone, et d’Internet dont elle avait été l’une des premières utilisatrices, malgré son très grand âge. 

     La vieille femme, lasse de divaguer comme elle en avait le secret, s’alluma une énième cigarette et  se remit à ses écrits sur son mari. Près de quarante ans après sa mort, elle avait toujours le même désir d’honorer sa mémoire. Ses œuvres, ses accomplissements dans le domaine de l’architecture moderne allaient oblitérer sa vie et sa personnalité. Carmen semblait regretter le manque de photos de son défunt mari. On retiendrait plus de lui ses œuvres, que sa réelle pensée. 

    Affonso Eduardo Reidy (1909/1964) pionnier de l’architecture moderne au Brésil, écrivait-elle, survivrait principalement dans les années à venir sur l’immense toile du WEB - et non dans les livres dont elle regrettait le peu de monographies qui lui avaient été consacrées à ce jour - en se dupliquant à l’infini comme un clone. Les vignettes du WEB présentaient des vues le plus souvent flatteuses du Pedregulho baigné dans une atmosphère solaire propice au bien-être et à la joie ;  il en était le symbole et l’espoir aux premiers temps de son existence. Mais ceci ne correspondait plus vraiment à la réalité. Ironie du sort, le Pedregulho, était devenu au fil des années une sorte de monstre, une bête, laissée à l’abandon par l’état et la municipalité. Aujourd’hui, plus que jamais, le chef d’œuvre de son mari était en train de devenir une épave. La blanchisserie communautaire ne fonctionnait plus tout comme les autres installations de ce genre ; les jardins de Burle Marx disparaissaient sous la poussière, le sable, les gravats. Ces espaces verts n’avaient plus de périmètres délimités. Le Pedregulho que les autorités avaient laissé péricliter, était à l’image d’une barque égarée au milieu des flots. Seules les mosaïques de Burle Marx ajoutaient une note plaisante.

    L’une des principales erreurs des architectes avait été toutefois d’ignorer les goûts et les habitudes fortement ancrés d’une population pour le moins demeurée encore sauvage. Le cas de la laverie automatique était révélateur à cet égard. Tentant de donner aux femmes plus de temps libre et pour les empêcher d’étendre leur linge aux fenêtres, les architectes supprimèrent les baquets à lessive des appartements et fournirent des laveries automatiques. En faisant cela, ils ignoraient toutefois que la lessive était chez ces femmes pauvres non seulement un simple travail, mais une occupation fonctionnelle qui leur permettait un moment de s’entretenir entre elles. La lessive était chez ces populations pauvres, une occasion supplémentaire de se rencontrer et de partager des moments de convivialité de sorte qu’elles décidèrent ensemble de laver leur linge dans la piscine pour se réunir. Ce cas-là incarnait une sorte de divorce, d’incompréhension, de fracture entre les architectes et les populations pauvres.

      

    Aujourd’hui, Carmen, dont la part de l’échec était à souligner, observait avec impuissance l’amoncellement de linge aux fenêtres du complexe du Pedregulho, symbole de l’échec des architectes à construire une société idéale. Reconnu comme une icône mondiale de l’architecture moderne, le Pedregulho continuait, malgré son état de délabrement, à attirer des visiteurs du monde entier. En 1995, le réalisateur Walter Salles utilisa le bâtiment pour certaines scènes du film Central do Brazil ; le long-métrage remporta le prix du festival de Berlin en 1998. Autant dire que le Pedregulho était aujourd’hui à la fois un cageot où s’entassaient des centaines d’habitants démunis, et un site historique témoignant de l’entrée du Brésil dans la modernité, un demi-siècle auparavant.

       


    votre commentaire
  • LA CITADELLE DE BETON

     Affonso Eduardo Reidy et Carmen Portinho

     

    Des silhouettes assimilables à de délicates ombres chinoises se déplaçaient dans l’anonymat le plus total. Apparaissant par à coups, ces individus obscurcis par les ténèbres de cet édifice tout en longueur, à l’apparence sélacienne, semblaient écrasés par la citadelle aux formes zoomorphiques pourvues de pattes – comme les tréteaux – qui évoquaient celles des myriapodes qui hantent les forêts du Carbonifère. Ils venaient se réfugier l’espace de quelques instants, avant de se sentir trop compressés ou écrasés par ce plafond aux couleurs ternes. Ils erraient dans ce faux souterrain, avec une démarche d’automates, de personnage virtuel de jeux vidéo, complètement dépourvus d’émotions. Certains se déplaçaient en vélo dans l’obscurité oppressante des lieux vides, sauvages et quasi atones, comme s’ils souhaitaient fuir au plus vite cet environnement hostile où pourtant rien ne se passait à l’exception de la valse des courants d’air intrusifs. Ici il n’y avait pas de centre réel, juste quelques directions arbitraires.

    Ce lieu ressemblait à un aérogare vide, à un vaste parking sans voiture, ou encore à un tunnel anormalement large, un hangar, ou un gigantesque entrepôt désaffecté. Il aurait pu servir aussi de pistes pour skaters. La matérialité du vide soufflait sur ces passants indifférents ; parfois, certains s’interrogeaient sur la formation de cet édifice et sur sa réalité propre. Ils évaluaient la naissance de cette citadelle à seulement quelques années. Tout archaïsme  était ici, absent. Une modernité froide, objective, géométrique, neutre, sans artifice ni éclat. L’érosion n’avait pas encore entamé son travail de sape .

     

    La nuit, dans l’intersection de chaque tréteau, installée à une certaine hauteur, une lumière artificielle extrêmement faible, donnait à l’ensemble une dimension quelque peu fantastique. Des semblants de strates ou de couches apparaissaient sur ces murs épais de soutènement, dont le caractère lisse ressemblait à différentes espèces de sables fins. On pouvait tout aussi bien s’imaginer au pied d’un temple égyptien, qu’à l’intérieur  d’un mastaba funéraire ou d’une zigurrat  babylonienne. Une autre analogie frappante résidait dans la présence sur un mur d’une forme ovoïde orangée, dont l’aspect rappelait la célèbre tache rouge de Jupiter.

     

    L’impression désastreuse d’un affaissement imminent, guettait à tout moment, et poussait les individus égarés à fuir ces lieux malsains où l’air était anormalement froid par rapport à l’environnement chaud de l’extérieur.

    Sur cet édifice de béton avaient été greffées dès sa construction, de petites ampoules inertes placées les unes des autres à des distances régulières, devant lesquelles s’ébattaient de minuscules insectes invisibles à l’œil nu, en quête de lumière. La pollution semblait s’être incrustée sur sa peau dure et verruqueuse de béton. On y trouvait des traces d’infiltrations pluviales que le temps et l’humidité avaient légèrement foncées et boursouflées.

    Au beau milieu de la citadelle, un escalier semi-circulaire monumental, donnait l’impression de pénétrer dans un vaisseau intergalactique. Mais ses courbes élégantes contrastaient fortement avec l’extrémisme géométrique de ces droites. Il était facile de perdre le sens de l’orientation en gravissant une à une les marches de ce vaste escalier de béton qui zigzaguait dans l’air de cet espace abiotique.

    Dans le fond, la silhouette d’un homme vêtu tout de blanc, n’avait de cesse d’explorer les combles du palais. Face à lui d’immenses terrasses ombragées accueillaient une foule d’individus. Noyés au sein de ce minimalisme architectural, ces anonymes lambdas se réduisaient à des pions comme s’ils faisaient partie intégrante d’un damier gigantesque délimité par des ombres.

    Des dalles funéraires particulièrement discrètes de format rectangulaire, étaient encastrées au milieu de l’esplanade. les visages des défunts y étaient gravés. Sous chacun d’eux, On pouvait lire les prénoms suivants : Maria, Julia, Rosaria, Sarah, Albina, Cecilia et Aria ainsi que les dates de leur naissance et de leur mort. Elles étaient là plongées dans une certaine obscurité au sein de cette citadelle où de fines couches de poussière comblaient les sillons de ces dessins gravés.

    A propos des défunts, il n’avait pas été difficile de savoir que Maria  et Julia vivaient toutes les deux dans le Bloc de type b du Pedregulho, quatre étages bâtis sur pilotis ; ce Bloc pouvait loger aussi bien des petites, des moyennes ou des grandes familles. En revanche, le Bloc de Type A, où vivaient notamment Rosaria et Aria, était destiné aux célibataires voire à des couples sans enfants ou, dans des cas extrêmes, à de petites familles. Dans le Livre au CODE 4 R 110, disponible à l’Institut National d’Histoire de l’Art (75002, Paris) il est bien précisé que les blocs d’appartements B1 et B2 avaient été réalisés dans les années 1950/1952 et constituaient à eux seuls une unité d’habitation. Par ailleurs, une source au CODE 8F 4567 précise que les vérandas de chaque unité, étaient en partie protégées par des balustrades et en partie par des panneaux ajourés en béton.

    Dans le Bloc de type A habitait également Sarah. Ce bloc, long de 260 mètres accompagnait la ligne sinueuse de la colline, rappelant dans son ensemble, les premiers projets de Le Corbusier pour Alger en 1931. trois escaliers principaux desservaient les divers étages de ce Bloc.

    Le troisième étage où se trouvait précisément l’appartement de Sarah était conçu comme une immense terrasse dotée d’une crèche et d’un jardin d’enfants. Sarah s’était plainte d’ailleurs très souvent du bruit. Ces détails sur la vie de Sarah et ses souffrances causées par les nuisances sonores sont exposés dans le livre au CODE 489 FGRT, disponible à la Bibliothèque François Mitterrand, au Rez-de-jardin qu’il est possible d’emprunter avec un justificatif comme une carte d’étudiant de Troisième Cycle, par exemple.

    Enfin, dans le Bloc C, habitaient Cécilia et Albina. En annexe de ce Bloc en retrait, une pouponnière et une école, avaient été crées.

     



    votre commentaire



    Suivre le flux RSS des articles
    Suivre le flux RSS des commentaires